La nuit j’écris

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Portrait d'Olivier Babel
© Ch. Schlaap

Beaucoup de personnes écrivent, des journalistes, des enseignants, des éditeurs, même des juges, vous, moi, des jeunes, des moins jeunes… Mais peu en vivent ou peuvent en faire un métier. Etre écrivain, c’est le plus souvent avoir une autre profession. Il faut vendre des dizaines de milliers d’exemplaires ou alors être au bénéfice d’une bourse ou d’une résidence pour échapper provisoirement à l’impératif financier: autant dire que les cas sont rares selon notre enquête consacrée à ce thème.

Tout au long de la chaîne du livre, la question de la rémunération n’est a priori pas déterminante: les libraires se paient avec ce qui reste une fois toutes les charges du mois payées, les salaires de la branche sont modestes, il n’y a pas de 13 e – ou alors très rarement; les éditeurs ou les éditrices aussi sont à la peine qui souvent sont contraints d’exercer une activité complémentaire, et une maison d’édition survit rarement sans aucune aide structurelle ou ponctuelle. De leur côté, la diffusion et la distribution répondent à leurs propres logiques, leur volume d’affaires est d’un tout autre ordre de grandeur.

Les métiers du livre, c’est d’abord affaire de passion et leur attractivité paraît inversement proportionnelle à la rémunération qu’ils sont en mesure d’offrir. Pourtant, chaque année, de jeunes plumes en devenir rejoignent les bancs de l’Institut littéraire de Bienne, de nouvelles librairies ouvrent, des maisons d’édition voient le jour, des manifestations dédiées à l’écrit se mettent sur pied, de multiples prix apparaissent et quelque 65’000 nouveaux livres sont publiés en français – pas loin de 2’000 rien qu’en Suisse romande.

Ces dynamiques à l’œuvre, cet attrait du livre et pour l’écrit atténuent le constat: l’écosystème du livre est si fragile, et il repose entièrement sur nous, lecteurs et lectrices, sur nos pratiques de lecture et surtout celles d’achat des livres que nous lisons. Et aussi sur ceux qu’Alexandre Grandjean nomme les secouristes du livre. Entrer dans une librairie est un acte militant: y acheter ses livres au prix de référence du marché suisse relève d’une prise de conscience nécessaire et indispensable, qu’il ne faut jamais déconnecter de la réalité d’un équilibre fragile. Que seraient l’écriture et la lecture sans les libraires?

On peut certes rêver d’un monde idéal, où les écrivains et les illustrateurs seraient justement rémunérés et pourraient vivre de leur art, et où il suffirait de vendre des livres pour vivre convenablement. Et où le métier d’éditeur serait définitivement reconnu comme une mission de salut public. On peut rêver, alors rêvons un instant, précipitons-nous toutes et tous dans notre librairie de proximité et achetons des livres!

Source:
Olivier Babel, Magazine LivreSuisse n°6