Ricochet rencontre Catherine Louis, illuminartiste

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Portrait de Catherine Louis
Catherine Louis dans son atelier de la Chaux-de-Fonds (© Mario del Curto)

Catherine Louis est née dans une famille d’artistes et d’artisans, un crayon à la main. Elle ne l’a jamais lâché mais, chemin faisant, elle a enrichi sa panoplie de techniques au contact d’éminents professeurs, mais également en laissant libre cours à sa créativité et son goût pour l’exploration, la création, les essais, l’insolite. Comme elle le dit, «il faut tester, se réinventer, c’est chaque fois “toute une cuisine”»! Un émerveillement lorsqu’on ouvre les livres qu’elle a illustrés!

Un brin d’histoire…

Lorsqu’on demande à Catherine Louis de parler de techniques d’illustration, elle remet rapidement les choses dans le bon ordre: «Au départ, ce n’est pas la technique qui importe, c’est ce qu’on veut raconter!».

Soit! Mais encore?

On s’aperçoit rapidement que Catherine Louis est une femme curieuse, en recherche, en perpétuel mouvement. Elle essaie, expérimente, observe, recommence, s’inscrit à des stages qui la conduisent vers d’autres univers, d’autres techniques. 

Depuis son plus jeune âge, Catherine Louis dessine. Dans un texte qu’elle publiera un jour, elle écrit (extraits):

J’ai beaucoup dessiné en attendant l’école, 
Je dessinais tout comme je veux.
Et l’école a commencé. 
On m’a donné une règle pour faire des droites, 
Je dessinais tout avec ma règle.
On devait colorier sans dépasser, 
Sinon la maîtresse me donnait des coups de bâton sur les doigts. 
Je me disais: si elle tape trop fort, je ne pourrai plus dessiner. 
Alors, je me suis donné de la peine, j’ai fait comme les autres.
Un jour, on devait faire notre autoportrait avec un ciel derrière.
J’ai fait un grand ciel rouge, la maîtresse a déchiré mon dessin. 
Elle m’a dit que le ciel, c’était bleu! 
J’étais triste pour elle, je me suis dit qu’elle n’avait jamais vu des couchers de soleil.

Heureusement, Catherine Louis ne s’est pas découragée et, à la fin de l’école obligatoire, elle choisit d’entrer dans une «école où on dessine toute la journée»: l’École d’arts visuels de Bienne. Elle y fera ses premières armes, tentant ici aussi de répondre aux standards et exigences de ses professeurs, sans grand succès semble-t-il:

Je n’avais pas de très bonnes notes car je ne voyais pas comme les autres.
Quand on dessinait du «modèle vivant», je faisais de trop grands pieds, de trop longs nez. 
Et il n’y avait pas assez d’espace entre les yeux…

Sans se décourager, Catherine Louis s’inscrit ensuite aux Arts décoratifs de Strasbourg, où elle rencontre Claude Lapointe qui l’aidera, deux ans durant, à trouver son style, à expérimenter la liberté de s’écarter du «joli» pour s’exprimer d’une manière authentique. Elle raconte:

Il aimait mes dessins, il m’a même dit qu’ils avaient du caractère!
Je l’ai regardé tout étonnée!

 «Ah bon? Je peux faire des grands pieds? Et des grands nez? 
Mais alors, ça n’est pas faux?»

«Non! c’est comme ça que tu vois les choses, alors vas-y! Et exagère encore! 
Fais des nez encore plus longs, des pieds encore plus longs! 
On a tous une manière de voir les choses et les couleurs différemment.»

Alors, depuis ce jour, j’exagère, j’exagère, et ça fait du bien d’exagérer!
J’ai vraiment l’impression que ce que je fais m’appartient!

Aujourd’hui, Catherine Louis est riche d’une vaste expérience, son travail est très apprécié, largement reconnu, elle a illustré de nombreux ouvrages, essentiellement des albums pour enfants, mais pas uniquement. Tentons de retracer son itinéraire en portant notre regard sur les techniques, tout en gardant à l’esprit que la technique n’est rien à elle seule, elle n’est que l’instrument servant à porter le message, le résultat d’une recherche, l’expression d’un style et d’une personnalité.

Papiers-cailloux-ciseaux…

Crayon, pinceau, craie grasse, colle et ciseaux, rouleau, stylet, pipette, aérographe, acide, gravure sur bois, sur lino, sur métal, sur gomme, broderie, empreintes, photo retravaillée, taches, idéogrammes, film masquant, feutre, pochoir, papiers de diverses textures (soie, alu, plastique, transparent, cartonné…) froissé, plié, découpé ou déchiré, marouflage, objets de récupération, travail en relief, en volume…

On peut essayer d’énumérer les techniques et les matériaux utilisés par Catherine Louis, mais c’est sans espoir d’être exhaustif car régulièrement une nouvelle idée, un nouvel essai viennent enrichir la panoplie des possibles… L’ordinateur? Catherine maîtrise parfaitement les logiciels de traitement de l’image, mais ne s’en sert que de manière ponctuelle et marginale, en seconde intention si l’on peut dire. Catherine a besoin de toucher, de palper la matière, de s’y confronter, de se mettre en dialogue avec les matériaux, de malaxer ses idées… Textures, odeurs, manipulation font partie du travail au même titre que le geste, la forme et la couleur. Ainsi, dans les cas où l’outil-ordi est utilisé, les croquis sont préalablement faits à la main, les «fonds» créés au rouleau ou au pinceau, les différents éléments dessinés et découpés avant d’être scannés et utilisés (voir l’encadré ci-dessous consacré à L’île de Victor).

L’île de Victor

Catherine Louis a été sollicitée par les éditions Loisirs et Pédagogie (LEP) pour réaliser une série de livres sur des enfants «différents». Accompagnée de Marie Sellier pour les textes, Catherine a relevé le défi et a produit trois ouvrages: Les yeux de Bianca[1] (2018), L’île de Victor[2] (2020), et Roule, Sasha![3](2021). Bianca est aveugle, Victor autiste et Sasha circule dans un fauteuil roulant. Tous trois rencontrent des défis spécifiques, mais ces histoires tentent de montrer qu’ils sont, au fond, «comme nous».

Défi également pour les autrices, puisqu’il s’agit d’imaginer une histoire qui explique sans caricaturer, et qui montre ce que «voit» Bianca, ce que ressent Victor, et les questions que se pose Sasha qui se sent «comme un ovni»…

Le texte de Bianca est doublé en braille et la recherche technique pour que les illustrations soient accessibles à des non-voyants fut stimulante. Mais Catherine a choisi d’expliciter et de nous donner accès à sa démarche de création à propos de L’île de Victor.

Si les premiers croquis et la recherche du «matériel graphique» se sont faits avec couleurs, colle et ciseaux à la main, Catherine a exceptionnellement utilisé l’ordinateur: «Je n’ai pas l’habitude de cette technique. Mais pour toute la collection sur les enfants “différents”, j’ai fini par travailler à l’ordinateur. Même si c’était difficile pour moi, j’ai gagné́ du temps, j’ai évité de recommencer 3 ou 4 fois chaque image. C’est vraiment en faisant qu’on se rend compte si l’image fonctionne ou non».

Catherine fabrique «de la matière» (fonds, personnages, autres éléments…) qu’elle scanne et agence avec Photoshop.

Ses recherches s'opèrent à différents niveaux: 

Recherche de personnages: «Pour les personnages au trait, j’ai travaillé́ en très grand format, au pinceau chinois, puis je les ai photographiés et nettoyé́s avant de les mettre dans mes pages. Souvent, je suis plus à l’aise de créer des animaux que des humains. Par exemple, le personnage de Sasha dans son fauteuil roulant est un lapin à grandes oreilles…». Pour ses personnages, Catherine a également essayé la technique du papier découpé, mais le résultat lui semblait trop dur. 

Geste graphique: «Au niveau du geste graphique, j’ai eu envie de trouver des rythmes. Au début, je ne voulais illustrer ce livre qu’avec des structures répétitives. J’ai rempli un carnet entier de différents rythmes. Comme pour arriver à un genre de “transe” en m’imaginant ce qui pourrait être une forme d’autisme…».

Couleurs: Catherine a fait des essais en bleu qui ne la convainquent pas, elle continue alors avec d’autres recherches, en orange par exemple.

Autres explorations: Catherine traverse ensuite une étape où elle pense éliminer les personnages et ne parler que par métaphore, par bulles. Catherine fait encore d’autres essais en papiers découpés, dans des tons doux.

Recherche intérieure: Comment se sent Victor? Plusieurs tentatives de montrer la perception «particulière» qu’il a de lui-même, des autres, de l’environnement.

Ce long cheminement finit par déboucher sur un bel ouvrage. Mais écoutons encore Catherine: «Le plus difficile quand je réalise un livre, c’est de garder le côté spontané́ des croquis quand je réalise l’image “au propre” comme on nous disait à l’école! En fait, je n’aime pas quand c’est trop propre! Trop parfait! Je préfère la fragilité́ de l’esquisse!».

[1] Marie Sellier, Catherine Louis, Les yeux de Bianca, Loisirs et Pédagogie, 2018.
[2] Marie Sellier, Catherine Louis, L'île de Victor, Loisirs et Pédagogie, 2020.
[3] Marie Sellier, Catherine Louis, Roule, Sasha!, Loisirs et Pédagogie, 2021.

Source:
Mona Ditisheim, Ricochet, Institut suisse Jeunesse et Médias