Depuis 1997, les éditions d’autre part ont édité plus de cent titres de littérature suisse d’expression française. Nous avons demandé à Jasmine Liardet, directrice de la maison d’édition, comment elle a fait face à la situation exceptionnelle liée à la pandémie et comment elle envisage l’avenir.
Depuis la mi-mars et la contrainte de fermeture des librairies, la chaîne du livre a été fortement impactée par un arrêt quasi-total des ventes. Comment avez-vous vécu ces quelques semaines?
Un peu à contre-courant, en travaillant deux fois plus. Une fois passée la stupeur provoquée par l’annonce, pour calmer les craintes liées à la pandémie et à cause de la difficulté à prédire la durée de ce «gel économique», j’ai dû très souvent redéfinir mes priorités: les diverses mesures de précaution dans la crise sanitaire, avec notamment la fermeture des écoles, ont provoqué pour certains des bouleversements domestiques parfois aussi importants que ceux rencontrés dans le domaine professionnel. Pour ma part, j’ai continué la production d’un livre en cours – en répondant au souhait de l’auteur – ainsi que les autres tâches éditoriales en essayant de m’adapter à la situation au jour le jour, parce que cela me permettait aussi de retrouver une certaine forme d’optimisme.
Les librairies et les éditeurs ont été écartés par les mesures de soutien de l’OFC, comment un éditeur comme «d’autre part» peut-il faire face à a la situation de crise créée par le covid-19?
Les éditions d’autre part sont une micro maison d’édition, un canoë avec une seule personne qui rame, et me semblent dont peu représentatives de la profession. Cela comporte des avantages et des inconvénients, je n’ai jamais conduit de paquebot, mais j’imagine qu’il est plus difficile et complexe d’effectuer une manœuvre pour un rapide changement de cap qu’avec une petite embarcation. A titre d’exemple: le vernissage prévu en librairie de l’ouvrage produit pendant la crise sanitaire a été annulé et les nouveautés bloquées au niveau de la distribution. L’auteur a informé ses proches que son livre était disponible à la vente sur le site des éditions. Cela peut paraître comme un manque de courtoisie envers les divers partenaires de la chaîne du livre et je m’en suis excusée par la suite auprès de mes contacts, mais les pertes auraient été plus grandes si j’avais dû mettre la clé sous la porte pour des raisons économiques. Cette décision m’aura permis de compenser un peu le manque à gagner sur le mois d’avril, et le surplus de travail occasionné par la manutention m’a fait d’autant plus apprécier le retour à la normale, comme après une panne momentanée d’eau chaude ou d’électricité.
En cette année 2020, les livres de Bernard Utz et de Guillaume Gagnière sont déjà venus enrichir votre catalogue. Suite à la fermeture subite des librairies, avez-vous dû revoir vos projets éditoriaux pour l’année à venir et comment envisagez-vous la suite de votre programme?
L’agenda des parutions 2020 a été un peu décalé, en bonne entente avec l’équipe de diffusion: une des conséquences positives d’une situation de crise généralisée est que cela crée parfois un dialogue un peu différent, où l’on s’efforce de montrer plus de souplesse et d’indulgence, où l’on apprend à relativiser nos problèmes (tant qu’on a la santé!), et où s’expriment la bienveillance et la solidarité. Il y a également eu chez certains, à l’instar des éditions La Baconnière, une envie de réflexion plus globale afin de ne pas revenir aux mêmes impératifs de fonctionnement d’avant la pandémie, dont l’une des failles serait la trop brève visibilité d’une livre. De belles initiatives fleurissent, témoignant de nos ressources d’ingéniosité et de créativité selon nos possibilités.
Pour la suite du programme éditorial, dans la continuité de ce que la crise a révélé, je souhaiterais miser sur le soin et la qualité plutôt que sur la quantité, et privilégier les rapports humains.