Fabio Casagrande, directeur général de la maison d’édition tessinoise Casagrande et président du comité éditorial d’ALESI, association de l’interprofession du livre en Suisse italienne, a accepté de répondre à nos trois questions. L’occasion pour nous de tourner notre regard vers le marché éditorial suisse-italien.
ALESI, l’association interprofessionnelle du livre au Tessin, regroupe près d’une trentaine de membres: quels sont ses principaux combats? Des rapprochements possibles sont-ils envisagés avec la toute récente Casa della Letteratura?
La nouvelle association interprofessionnelle du livre ALESI est le résultat de la fusion entre l’association des éditeurs (SESI avec une quinzaine de membres) et celle des libraires (ALSI avec environ 25 membres) qui jusqu’ici fonctionnaient indépendamment. Le monde du livre nouvellement associé compte aujourd’hui donc environ 30 entreprises au Tessin. L’idée est celle de mettre en commun des objectifs afin de donner à ce petit marché de la Suisse de langue italienne les conditions cadre pour soutenir et promouvoir les livres de manière professionnelle. La nouvelle association n’a malheureusement pas encore de sécrétariat et elle doit s’appuyer sur l’engagement des membres du comité central. Pendant la première année nous avons constitué deux comités (libraires et éditeurs) et nous sommes en train de mettre sur pied notre site internet www.alesi.ch. Au niveau “politique” nous avons pris position sur le nouveau Message culture 2021-24 en soutenant le maintien et le renforcement du soutien fédéral aux maisons d’édition et nous avons soutenu le projet du SBVV qui vise à introduire une aide aux librairies actives dans la promotion des livres et des auteurs. Les rapports que nous entretenons avec Livresuisse et SBVV nous permettent d’échanger nos points de vue respectifs sur les trois marchés du livre en Suisse, et de proposer et soutenir des projets communs.
Au niveau cantonal l’ALESI a participé à la fondation de la Maison de la littérature à Lugano en soutenant le projet issu de l’Ads. Deux membres du comité ALESI sont aussi dans le comité de la Maison de la littérature qui a un programme assez dense (23 soirées en 2019) avec un public toujours plus nombreux. Une Maison de la littérature manquait au Tessin et nous sommes fiers que l’ALESI, née en même temps, puisse y participer.
Le marché tessinois du livre présente de nombreuses similarités avec le marché romand, avec une forte présence de livres importés d’Italie: quelle part des ventes représentent les livres importés et à quel prix ceux-ci sont-ils vendus?
A peu près 80% des livres vendus en librairies sont importés de l’Italie et, ne disposant pas de distributeurs sur place, les libraires doivent s’approvisionner directement en Italie, en particulier à Milan. Cela a des conséquences sur les prix de vente: d’une part les libraires achètent en euro au taux bancaire (1,15), d’autre part ils assument des coûts supplémentaires en termes de transport et de dédouanement qu’il s’agit de reporter sur les prix de vente. Aujourd’hui les tabelles libraires varient entre 1,35 et 1,50. Depuis 2011 les librairies ont souffert de la baisse de l’euro et des achats opérés directement en Italie au taux du jour, ou pire encore sur Amazon. Pour cette raison, ALESI a lancé l’automne dernier une campagne publicitaire pour inviter le public à l’achat local dans les librairies.
Anna Felder, Alberto Nessi, Giorgio Orelli, Denis de Rougemont, Etienne Barilier, Philippe Jaccottet, Anne-Marie Schwarzenbach, Max Frisch, Robert Walser…, le catalogue des éditions Casagrande regorge de centaines d’auteurs qui portent haut la littérature suisse: comment se porte la diffusion de cette littérature en Italie, et quels sont les principaux défis d’un éditeur tessinois sur le marché italien?
Depuis 20 ans les Edizioni Casagrande exportent activement sur le marché italien grâce à l’accord avec le plus important distributeur de Livre italien, Messaggerie Libri. Nous nous sommes décidés à entrer sur ce marché avec beaucoup d’engagement lorsqu’est né l’euro qui garantissait une certaine stabilité au projet économique et à l’aide de nouvelles forces intellectuelles qui rejoignaient la maison d’édition permettant de soutenir un certain rythme de publications, nécessaire pour être visible en librairie. Pendant ces 20 ans nous avons fait connaître en Italie plusieurs auteurs suisses et nous avons eu pas mal de succès notamment avec les livres d’Agota Kristof traduits en italiens (L’analphabète, Clous, Le monstre, Où es-tu Mathias?) et de Friedrich Dürrenmatt (Le retraité) qui nous ont offert de la visibilité dans la presse et en librairie.
Dès le début nous ne voulions pas nous profiler en tant qu’éditeur de seule littérature suisse et nous avons publié des auteurs français (Bove, Hyvernaud, Toussaint, Duvert…), italiens (Pariani, Cazzola,…), anglais (Welch), etc.
La Suisse naturellement est notre principal focus mais pas seulement en ce qui concerne la littérature, nous sommes en effet un éditeur généraliste et le livre de Simon Graf sur Roger Federer, par exemple, est en ce moment très bien accueilli sur le marché italien tout comme les Poésies de Robert Walser.
Quant aux défis, nous aimerions maintenir notre position en Italie où nous sommes considérés aujourd’hui parmi les 100 petites et moyennes maisons indépendantes les plus importantes. Cela nous permet de prendre des risques sur des titres d’intérêt universel que le seul marché tessinois ne pourrait pas soutenir.