«Quand je me rends en librairie, je ne sais pas ce que je vais acheter...»

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Librairie Bostryche
©Mélanie Richoz

Mélanie Richoz, ergothérapeute en pédiatrie et auteure de plusieurs romans dont Mouches s’est rendue à Bienne pour visiter la librairie Bostryche.

Le menton en appui contre la paume, je regarde par la fenêtre. Les paysages sombres de février défilent à vive allure puis, au ralenti, à la cime de la chaîne des Vanils, le soleil perce et habille les vallons de son manteau blanc.

Jusqu’à Bienne, il faut compter deux heures de train. Deux heures hors du temps où, incapable de lire dans les transports en commun parce que nauséeuse, je m’abandonne à l’observation. Au farniente. Je déteste le farniente. Mais n’est-il pas nécessaire de temps à autre?

Arrivée dans al cité horlogère, je sors mon téléphone pour poursuivre mon chemin. À cause du froid emprisonné d’un épais brouillard, sa batterie rend l’âme. Je me sens soudain perdue dans cette ville nouvelle où je ne connais et ne reconnais rien. N’ayant plus aucun repère, comme Josiane dans mon roman Mouches, je dépends tout à coup des passants. Vais-je réussir à honorer mon rendez-vous? J’en doute et j’enrage jusqu’à ce qu’une dame, de son accent suisse-allemand, me guide jusqu’à la librairie Bostryche.

Le Bostryche est bilingue

Catherine et Camille, deux des quatre collaboratrices du Bostryche, m’y accueillent. Sur l’une des petites tables rondes et rouges de l’espace café, Catherine, la responsable, me sert un expresso. Tout nu, tout noir. J’enlève ma veste, je dépose ma colère. Je souris. L’endroit est lumineux, haut de plafond avec un parquet qui grince, un parquet qui raconte. Au-delà des livres, les clients viennent y chercher un partage, des échanges et assister à des événements. La veille, Franziska Schutzbach y a été invitée pour une lecture sur «Die Erschöpfung der Frauen. Wider die weibliche Verfügbarkeit».

Son thème présenté en allemand et en français: «On dit que les femmes d’aujourd'hui ont plus de choix que jamais. Et en même temps nous sommes plus épuisées que jamais. Parce qu'elles doivent être disponibles en permanence. La chercheuse Franziska Schutzbach écrit sur un système qui attend tout des femmes et ne donne rien en retour – et sur la façon dont les femmes se rebellent contre lui et changent tout: leur vie et la société.»

«Nous aimons les livres...»

Il s’agit donc d’un établissement bilingue, qui propose de la littérature en tout genre avec un rayon de littérature féministe, des livres d’art et des ovnis littéraires aussi. «J’aime bien l’idée de proposer des livres qu’on ne trouve pas partout », précise Catherine qui a donné naissance au Bostryche en 2018. «La ville de Bienne, à l’exception d’une grande chaîne suisse-allemande, n’avait pas de librairie».

Après avoir bu mon expresso, j’y déambule comme Josiane dans son appartement, à la merci de ce qui se présente à moi. À la merci du lieu, des rayons, des couvertures. Sautant d’un univers à l’autre, d’une époque à l’autre, d’un genre à l’autre. Comme Josiane, je suis tantôt une enfant, une femme, une vieille dame.

Au Bostryche, les libraires n’affichent pas de coup de cœur: «Nous aimons les livres… Le fait qu’ils soient présents dans notre librairie, c’est déjà une sélection.» et la devise de l’endroit, proche de la mienne et de mon travail d’écriture, est de «trouver ce qu’on n’a pas cherché». De se laisser porter par ce qu’on voit, ce qu’on découvre, ce qu’on entend, par une couleur, un parfum, une émotion. De prendre le temps… Quand je me rends en librairie, je ne sais pas ce que je vais acheter. Si je le savais, je crois que je n’y rentrerais pas… La même chose lorsque j’écris: si je connaissais l’aboutissement d’une histoire en cours, je ne l’écrirais pas.  

Il est 12h30, je reprends le train pour rentrer à la maison. J’adore revenir chez moi. Parfois, il me semble que mon plaisir à partir se résume à celui de revenir. Et d’attendre mon petit garçon qui va rentrer de l’école.

 

Source:
Mélanie Richoz, Magazine LivreSuisse n°3