Mon frère le Carso, publié en 1912, constitue le seul roman de la brève carrière littéraire de Scipio Slataper, né à Trieste en 1888. Une autobiographie poétique attachante au décor de montagnes karstiques unique.
Tourner les pages de Mon frère le Carso, c’est ressusciter un jeune mort, Scipio Slataper, disparu à 28 ans, en décembre 1915, durant la Première Guerre Mondiale, lors des combats de Gorizia, à la frontière italo-slovène. Publié en 1912, Mon frère le Carso constitue le seul roman de la brève carrière littéraire de Slataper, né en 1888 à Trieste. C’est une plongée dans le temps, l’esprit de cette ville-frontière fascinante qui a vu aussi naître Claudio Magris ou Italo Svevo, mais aussi sa géographie. Car le Carso qui figure dans le titre, c’est le Karst, ce haut-plateau derrière Trieste, pays de calcaire et de broussailles, de forêts et de grottes froides, qui fait le lien entre le nord-est italien et le nord-ouest croate.
Fasciné par ce paysage originel, Slataper en fait le décor envoûtant de cette sorte d’autobiographie poétique attachante, à la langue riche et sensuelle, mélange de souvenirs d’enfance, de choses vues, de rêveries et d’observations sociales de sa ville. «Nous aimons Trieste pour l’âme tourmentée qu’elle nous a donnée», écrit Slataper, qui a aussi été essayiste et chroniqueur littéraire.
Mon frère le Carso (Il mio Carso) fait suite à une polémique: en 1909, Slataper publie une série d’articles intitulée «lettere triestine» dans la revue La Voce. Décrivant Trieste comme une ville provinciale de l’empire autro-hongrois, sans tradition culturelle propre, il est jugé comme un traître à la cause italienne, et rejeté par l’élite locale à qui son «italianité» tenait à cœur. Mon frère le Carso est donc le livre de la réconciliation, une déclaration d’amour à Trieste, son histoire et sa culture.
On y va et vient: entre le mont Kâl, les sillons de terre grasse dans lesquels Scipio se couche, et la ville, Cité fourmillant d’activités, ses tavernes, ses cafés, ses quais, son port, le plus grand de l’Adriatique, d’où le narrateur regarde les navires partir pour Salonique ou Bombay, ses marchands, ses ouvriers. Et où, dans la rue, les manifestations en faveur de l’Université italienne de Trieste sont réprimées par les gendarmes de l’Empire Autro-hongrois.
On va et vient, aussi, entre le présent, celui d’un jeune homme incertain de son futur, tourmenté par de confus désirs, oscillant entre ennui et vastes exaltations, au désespoir lorsque sa jeune amante Anna se suicide, et son enfance dans une grande maison où, les jours de fête, le grand-père siégeait en bout de la table et les parents très nombreux arrivaient de Zagreb, de Padoue ou d’Amérique, apportant friandises et jouets. Il a dix ans lorsqu’un docteur lui découvre une anémie et l’envoie en altitude. C’est là qu’il découvre alors son «frère le Carso». À la vie, à la mort.