En vingt-trois Portraits clandestins, Daniel de Roulet nous ouvre les portes de sa bibliothèque personnelle tout en dessinant son propre paysage intérieur poétique et intellectuel. Le tout avec son irrésistible plume, enlevée, ironique et pudique.
Stendhal, Denis de Rougemont, Marguerite Duras, James Baldwin, Raymond Carver, Victor Hugo : on croise du beau monde dans ce recueil de vingt-trois Portraits clandestins. Mais c’est surtout Daniel de Roulet que l’on retrouve, son style d’une folle élégance, mélange irrésistible d’ironie, de tendresse et d’une immense pudeur sous laquelle perce toujours une admiration matinée d’amour. Il nous ouvre ici les portes d’une sorte de bibliothèque personnelle, faites de souvenirs de lecture ou de longs compagnonnages autant amicaux que littéraires. Ces textes, écrits ces vingt dernières années pour diverses revues, sont réunis par les éditions La Baconnière avec une intelligente préface de l’écrivaine et professeure Nathalie Piégay.
Aux imposants Hugo, Nietzsche, Proust ou Stendhal se mêle les plus familiers Chessex, Bouvier, Annemarie Schwarzenbach ou Niklaus Meienberg. Ce qui est agréable avec de Roulet, c’est qu’aucun de ces auteurs ne l’impressionne, en ce qu’il perçoit toujours, et s’attache à nous la transmettre, leur part humaine, sensible, souffrante ou désirante, au-delà de l’icône littéraire qu’ils sont devenus. Il s’intéresse à leur ascendance, leur langue maternelle, leur pays natal, le paysage des premiers pas ou des premiers émois amoureux. Précis et documenté, généreux en anecdotes, son regard d’enquêteur littéraire n’en reste pas moins concentré sur les faits, ne s’autorisant jamais d’interprétations psychologisantes. A nous de tirer les conclusions que les rapprochements d’informations nous suggèrent, ou pas…
Chaque « portrait » adopte une forme différente : celui consacré à Roud prend la forme d’un poème évoquant Jaccottet, Chessex et Galland pour arriver aux jeunes zadistes du Mormont, peut-être les véritables héritiers de l’esprit de poésie de Roud. Robert Walser est le destinataire d’une lettre écrite au nom de Frieda Mermet, la repasseuse à qui l’écrivain écrivait chaque Noël. Des lettres encore, envoyées à Jean Starobinski, à Roger Vailland pour ses cent ans ou à la journaliste russe Anna Politkovskaïa, assassiné le 7 octobre 2006.
Souvent, Daniel de Roulet fait ici ce qu’il aime faire : marcher. Il repart sur leurs traces, celles de Roud dans le Jorat, Hugo dans un village de l’Essonne, Cendras à la Chaux-de-Fonds, Proust à Evian-les-Bains et, surtout, Stendhal, respirant les mêmes paysages italiens – Sicile, Calabre, Rome - pour mieux débusquer le mystérieux passage de la vie à l’écriture. « Aller sur le terrain, c’est souvent démasquer derrière la statue des grands hommes (…) les petits trafics que la fiction et la pensée entretiennent avec tout le banal, tout le trivial de l’existence », écrit Nathalie Piégay dans sa préface.
Isabelle Falconnier