Être en vie

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Portrait de Marina Salzmann
©Philippe Pache

Horizon R de Marina Salzmann nous fait entrer dans l’expérience du coma. Percutante mise en mots d’un gouffre.

Ce roman provoque un réveil. Et pourtant. Wallace est inconsciente. Tom l’aime. Il essaie de lui parler, mais la communication est incertaine. Est-ce qu’elle l’entend? Le comprend? Le reconnaît? Tom se trouve face à ces questions, dans la nuit. Et nous avec lui.

À chaque chapitre change la voix. Celle de Tom puis celle de Wallace. Chacun de son côté. Se retrouveront-ils un jour?

Wallace est plongée dans une obscurité profonde. Ses mots nous révèlent ce que ses sens perçoivent: le silence, la nuit. Puis un son. «Plop. Le plop revient. Je commence à croire à l’existence du temps.» Bien plus tard, un peu de lumière, puis, de nouveau, la nuit. L’espoir de Wallace s’envole. Dans l’esprit du lecteur, imperceptiblement, des questions émergent: qui suis-je en réalité? Qu’est-ce qui me maintient en vie?

Au fil des pages, le récit esquisse quelques réponses: «Je. Il y a un je. Une voix qui dit je. Je vibre.» Avec la protagoniste, le lecteur prend conscience de son corps qui tremble, qui bouillonne, qui vit au milieu de l’univers, dans un présent unique. Va-t-il passer son chemin, fermer le livre et reprendre comme ses semblables la course folle de ses activités? Dans l’histoire de Tom et de Wallace, il n’est pas question d’efficacité – on ne parle nulle part de leur profession – mais d’être et de relation: Tom vit suspendu au plus petit souffle de Wallace, Wallace vit parce qu’elle a reçu la vie… et peut-être parce que quelqu’un veille sur elle.

Horizon R est le nom de la roche mère, le support du vivant. Ce court ouvrage a ceci de précieux qu’il oscille entre le plus fragile et le plus solide. Marina Salzmann est auteure de nouvelles, de poésie et de romans qui naviguent entre fiction et autofiction. Elle manie avec adresse trompe-l’œil et réalité. Ici, elle réalise l’impossible: faire penser une personne inconsciente, faire naître le langage là où les concepts sont absents, taire l’agitation pour laisser place à la force de la vie. Dans une gisante. Et si l’expérience de l’immobilité, des ténèbres, de l’oubli, du silence nous ramenait vers le monde? Lire ce livre nous laisse bouche bée, comme si on assistait à la naissance de l’existence: on admire l'éclosion du vivant dans une goutte de pluie ou au détour d’un caillou, on assiste à celle, incroyable, de l’humain.

Source:
Fabienne Voirol, Magazine LivreSuisse n°3